L'histoire d'Arckmire

Il y était enfin, 

La pénombre régnait dans la grotte, pourtant Arckmire y pénétra d’un pas décidé, comme s’il savait exactement où il allait. Maintenant qu’il était à l’abri, le magicien fit apparaitre une boule de feu qu’il prit soin de placer loin au-dessus de sa tête : la sphère incandescente dansait sur le plafond, diffusant une lumière si puissante qu’elle éclaira la caverne toute entière.

Le jeune homme balaya les lieux du regard : rien n’avait changé depuis ce jour-là, il reconnut ce rocher lisse et imposant quelques mètres devant lui, cette stalactite qui tombait du plafond dans une spirale parfaitement régulière ; et surtout cette sorte de petite marre, tout au fond de la grotte.. 

Il ferma les yeux un instant, se remémorant le souvenir de la première fois où il la vit, ici même, nageant dans cette petite marre d’eau chaude, ses cheveux d’un roux éclatant balayés par les flots …

Arckmire vacilla soudain, le souffle court et les yeux toujours fermés, il dû s’arrêter un instant pour ne pas tomber. Retirant finalement son capuchon détrempé, il décida de s’asseoir un moment contre le gros rocher lisse qu’il avait reconnu un peu plus tôt.

Le regard vide, le visage blafard et émacié, quiconque avait rencontré le magicien quelques mois plus tôt aurait bien eu de la peine à le reconnaître à cet instant. Le manque d’appétit et les longues nuits d’insomnie avaient finalement eu raison de son air angélique et même de son regard profond et pétillant : on ne lisait à présent plus que tristesse et désarroi sur son visage.

Le garçon avait connu beaucoup de blessures au cours de ses nombreuses batailles, des coups d’épées aux brûlures magiques, en passant par les flèches empoisonnées et les blessures de monstres colossaux …  Mais pourtant celle-ci était de loin la plus douloureuse, et en cet instant il ne faisait nul doute que le cœur était le seul organe qui ne pouvait pas se guérir de lui-même …

Elle hantait ses pensées jour comme nuit, tantôt rongé par la colère, tantôt par la tristesse ; toujours épris d’un sentiment profond que la vie n’avait plus de sens sans elle. Et c’est bien ce malheur profond qui aura eu raison du magicien : il ne croyait plus en rien, même plus à la vie ; si ce n’est qu’en une chose : c’est ici que tout a commencé, c’est ici que tout se finira.

Arckmire se releva finalement et se dirigea à nouveau vers la petite marre. Beaucoup de choses se bousculaient dans sa tête mais celle-ci prenait le pas sur toutes les autres : puisqu’on ne peut réparer un cœur maintes fois blessé, alors pourquoi le laisser subsister, pourquoi le laisser souffrir puisque tout espoir est mort et qu’il ne reste plus que la douleur et la souffrance de l’âme en substitut de la vie ? Il en était certain : c’est en ce jour et en ce lieu qu’il voulait quitter ce monde, pour couper court à cette torture qui ne faisait que trop durer.

Le jeune homme s’assit une nouvelle fois au bord du bassin, ses pieds effleurant à peine la surface de l’eau formaient de petits remous réguliers.

Chaque vaguelette lui rappelait son sourire, son visage, son regard … 

Arckmire glissa une main dans la poche intérieure de sa cape et en sorti une dague, une très jolie dague brillante comme l’argent et qui semblait n’avoir jamais servi. Cette dague c’est elle qui la lui avait offerte il y a de ça de nombreuses années ; bien sûr le magicien n’était pas coutumier des armes de poing, pourtant il avait gardé cette lame avec lui, prêt de son cœur, comme si il avait depuis toujours fais la promesse d’en finir si cela devait mal se passer avec elle …

Se sentant prêt, il disposa alors la lame sur son poignet droit avec la conviction d’en découdre ; pourtant à cet instant Arckmire marqua un temps d’arrêt et ferma les yeux. Il n’avait pas peur non, plus maintenant, il avait déjà trop souffert pour avoir encore peur de la mort ; non lorsqu’il ferma les yeux il vit une nouvelle fois son visage, plus clairement que jamais : ses cheveux roux, ses yeux bleus …

La lame d’argent fendit la chair avec force et détermination : le sang gicla sur la pierre froide et humide, puis se déversa finalement à flot dense et régulier, tombant directement dans l’eau qui prenait alors une couleur rosée.

Les minutes passèrent, toutes plus longues les unes que les autres. Arckmire avait froid, terriblement froid … Il sentait ses forces l’abandonner à mesure que le sang quittait ses veines, pourtant le jeune garçon était encore pleinement conscient. Lui qui voyait la mort comme la dernière des solutions s’était bien fourvoyé, sougea-t-il. Il pensait que toute cette tristesse, toute cette colère, tout ce chagrin le quitteraient alors même que la vie le quitterai ; mais il n’en était rien, il était là assis au bord du bassin, perdant de plus en plus de sang à chaque seconde et sentant la vie s’échapper par la plaie béante de son poignet, pourtant aucun sentiment de réconfort ni aucune salvation ne vinrent réchauffer son âme : il était sans aucun doute condamné à mourir dans la douleur et la souffrance d’un cœur brisé que même la mort n’aura pu réparer…

Le sang bouillonnant qui s’échappait de son bras était bien son seul réconfort : il faisait de plus en plus froid, Arckmire tremblait de tout son corps et avait de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts.

Ainsi donc il mourrait ici, dans cette grotte froide et humide ; complétement seul car même le sentiment que la mort le soulagerait l’avait quitté. Le magicien avait mal, son cœur saignait sans doute en cet instant plus encore que son bras meurtrit.

Cela faisait des mois qu’il n’avait pas pleuré, pas parce qu’il n’en avait pas envie, mais plutôt parce qu’il n’en était plus capable. Pourtant une larme coula sur la joue du jeune garçon ; il ferma à nouveau les yeux et se résolu cette fois ci à ne plus jamais les rouvrir. En effet, pour la première fois il avait peur, peur de la mort autant que de la solitude, son poignet le faisait atrocement souffrir et il la mort se faisait attendre depuis longtemps déjà, trop longtemps à son gout … Puisqu’aucun salut ne viendrai le sauver, Arckmire choisi de quitter ce monde avec les souvenirs les plus heureux qu’il eut dans sa vie ; les yeux toujours fermés, il l’imagina là devant lui, son visage s’approchant du sien pour lui donner leur tout premier baiser … Il l’imagina allongée ici à côté de lui, sa peau douce et chaude frissonnant à ses caresses … Il l’imagina enfin là juste devant lui, elle plongeait son regard dans le sien et lui tendait la main … Arckmire tendit également sa main, celle qui tenait encore quoique plus ou moins fermement la dague ; il la présenta une nouvelle fois sur son poignet déjà maculé de sang, et fit une nouvelle entaille qui vint raviver la première, laissant une plaie profonde de laquelle s’échappait plus de sang que jamais.

N’ayant plus la force de se maintenir, le garçon s’allongea sur le côté. Il n’arrivait d’ailleurs pas à rouvrir ses yeux non plus. 

Sa tête tournait dans une valse incessante, il ne savait plus ni où il était ni ce qu’il faisait ici, tout ce qu’il savait  c’est qu’il avait affreusement mal et froid à l’intérieur, comme si son cœur était déchiré en deux…